Les jardins

Le Jardin Platonicien des Tuileries, par mon complice Ludovic Armand

Heracles au jardin des Hespérides. (Source Bibi Saint-Pol.Wikimedia).
Heracles au jardin des Hespérides. (Source Bibi Saint-Pol.Wikimedia).

Quand la géométrie côtoie la verdure, le Grec n'est jamais très loin. Entre le jardin Anglais d'un côté et le jardin Italien de l'autre, ou son clone, le jardin à la Française, il y a la question de l'ordre et de l'harmonie, et des lectures diverses de l'un et de l'autre : sinuosité et confusion esthétique pour l'Anglais, despotisme des lignes, rectangles et lignes géométriques  pour l'Italien et le Français.

 

Et plus : entre les deux, il y a probablement quelques traces d'Athènes et de Rome, concentrées sur le continent, éparses et contrées en Angleterre.

 

La question de l'ordre géométrique a hanté les Grecs pendant une grande partie de leur histoire, et elle a été pour un temps déclinée harmonieusement pendant leur très brève période démocratique.  

Jardin des Tuileries (Source Gilles Brémond).
Jardin des Tuileries (Source Gilles Brémond).

Les lignes harmonieuses ne sont pas donc forcément despotiques. Elles ne le deviennent que lorsque dans l'harmonie on cherche à soumettre la nature.

 

Il suffit d'observer à quel point les percées perpendiculaires et les aires rectangulaires des jardins à la Française ont souvent été  mises sur le compte de la tyrannie monarchique et de l'ordre royal.

 

Entre l'harmonie Grecque avec la nature et l'harmonie ordonnée du roi, il n' y a non pas rupture, mais le lent déclin de la démocratie en république puis en empire.

Jardin des Hespérides de E. Burne-Jones (Source Téléversé par Shuishouyue.Wikimedia).
Jardin des Hespérides de E. Burne-Jones (Source Téléversé par Shuishouyue.Wikimedia).

L'harmonie démocratique des premiers urbanistes Grecs déclinait une vision spatiale où chacun pouvait se mouvoir, se rencontrer, se promener, errer ; elle faisait partie d'un urbanisme pensé qui devait refléter l'institution politique de la société.


Le jardin, dans tout ça? Une figure presque "infigurable".

 

Le jardin est la ?ure introuvable de la Grèce tant il accomplit ce qu'il est sensé représenter, ne plus être un espace délimité, clos, visible mais disparaître. Aucun jardin Grec n'a été retrouvé aucun espace qui aurait pu laissé croire qu'il était là, son souvenir a disparu.

 

Sa représentation artistique elle-même est si rare qu'on ne sait si la chose et le mot existaient a priori dans la réalité Hellène. Le mot lui-même est dérivé du Latin et non du Grec.

 

Un Athénien nous parlerait d'Alos, du bois fantastique, de la forêt de l’Être, chère à Heidegger, d'un lieu où la nature parle à l’Être et l’Être à la Nature, un entre-deux, ni à l'un, ni à l'autre.


Le jardin des Hespérides était lui même situé aux confins du monde. Il ne faisait guère partie de la ville, il l'entourait, il était une frontière à lui tout seul.

 

L'espace vert était l'étendue, le domaine de l'invisible, il entourait les temples ou y menait, il encerclait la polis. L'espace démocratique d'un Clisthène n'en parlait pas. Solon réservait l'unité abstraite des philosophes que la mise en scène de l'urbain et laissaient les jardins dans leur dimension sauvage.


Versailles ( Source Julian Gomez).
Versailles ( Source Julian Gomez).

L'ordre Français était bien une autre harmonie, plus solaire, plus envahissante, il n'a pas laissé la Nature tel quelle est, il a voulu la singer. La Nature domestiquée s'enchaîne dans les lignes droites de la ville, du bâti.

 

Les lignes veulent y dire autre chose que l'errance Grecque et la circulation démocratique, où désormais l'un des points attire tous les autres, où la rencontre se fait par les chemins qui doivent nécessairement donner son importance à la sortie de l'errance, au point archimédien, architectural : le palais et derrière lui, en lui, son propriétaire.

Grille-Château de Versailles (Source Michel Hourdebaigt).
Grille-Château de Versailles (Source Michel Hourdebaigt).

Il y a plusieurs façon de concevoir la géométrie quand on parle jardin.

 

La géométrie peut très rapidement devenir tyrannique, despotique.

 

Parce qu'ils le savaient, les Grecs ont inventé la démocratie entourée de jardins merveilleux et sauvages, comme les Guaranis, les sauvages eux-mêmes, avaient investi la forêt sans jamais la jardiner luttant contre le pouvoir et l'émergence d'un seul d'entre eux, d'un roi, ou d'un chef, contrant sans cesse l'idée de la propriété, de l'extériorité, de la représentation.

 

Versailles en hiver (Source Julian Gomez).
Versailles en hiver (Source Julian Gomez).

Il y a dans le rapport géométrique à la nature quelque chose qui figure une conception politique éminente. Si l'Indien d'Amazonie parcourt la forêt sans jamais la prendre à son compte ni la posséder, sa conception politique d'une égalité absolue, quasi transcendantale, évitant bien toute extériorisation du pouvoir, toute concentration dans les mains d'un seul.

 

Les Grecs, eux, ont cherché par leur maîtrise de l'espace à mettre en forme une étendue urbaine et humaine qui distribuait le pouvoir à chacun. Le jardin était hors de la Cité, un lieu sans pouvoir, sans homme, comme le souvenir sauvage de la forêt primitive.

 

Le jardin Romain puis Italien puis le jardin à la Française rompent avec tout ça. En cherchant à reprendre le modèle Romain, le Français donne un nom à l'espace vert, le clôt, l'emprisonne, non pas pour le rouvrir à lui-même, non pas pour en faire le détour qui débouche sur une représentation de la Nature comme on en trouve dans le jardin Anglais qui dirige l'errant sur un site pittoresque digne d'être peint, mais au contraire pour domestiquer l'ordre lui-même, le représenter, capturer l'ordre invisible de l'aslos, troué par des tranchées rectilignes qui ne vont que dans un sens, celui de l'Un, du Roi, du Propriétaire.Le jardin devient celui d'un homme, d'un puissant.

 

La France est travaillée par Rome : comme ses jardins disent le pouvoir, ses institutions disent la séparation des gouvernants et des gouvernés. Sa conception s'adosse au Palais.

 

On y erre qu'entre soi, qu'entre puissants, son architecture, devient solaire quand celle des Indiens était forestière et celle des Grecs auxiliaire et limitrophe.

 

Jardins des Tuileries, dessin de Gilles Brémond
Jardins des Tuileries, dessin de Gilles Brémond

Mais déjà, chez les Grecs, le ver était dans le fruit, quand l'organisation Clisthénienne d'Athènes a succédé celle rêvée par Platon, qui dans son Critias décrit deux ordres de la cité en conflit, l'un où le jardin (comme le reste, comme les temples, les réfectoires, les allées) n'a plus pour but que de séparer les classes entre elles, se retrouve en haut de la pyramide urbaine, du côté des puissants et des guerriers ; l'autre, celui de l'Atlantide, où les jardins à tous les niveaux rassemblent une multitude d'espèces d'arbres connus, sont traversés par des fleuves et bordent les demeures.

 

A chacun son espace. A chacun régime politique son jardin.

 

Jardin forestier quand la démocratie est là, jardin clos et droit quand la, tyrannie cherche à poindre. Les Tuileries sont indéniablement du côté du second.

 

Ce n'est que lorsque le jardin lui-même disparait, devient espace vert, espace naturel, forêt, parc national, réserves naturelles, que peut-être la dimension verte de la démocratie, son souvenir Grec et sauvage, s'impose à nouveau aux modernes.

Porte ouvrant sur le parc de Chambord (Source Julian Gomez).
Porte ouvrant sur le parc de Chambord (Source Julian Gomez).

Quand la géométrie côtoie la verdure, le Grec n'est jamais très loin.

 

Entre le jardin Anglais d'un côté et le jardin Italien de l'autre, ou son clone, le jardin à la Française, il y a la question de l'ordre et de l'harmonie, et des lectures diverses de l'un et de l'autre : sinuosité et confusion esthétique pour l'Anglais, despotisme des lignes, rectangles et lignes géométriques  pour l'Italien et le Français.

 

Et plus : entre les deux, il y a probablement quelques traces d'Athènes et de Rome, concentrées sur le continent, éparses et contrées en Angleterre.

 

La question de l'ordre géométrique a hanté les Grecs pendant une grande partie de leur histoire, et elle a été pour un temps déclinée harmonieusement pendant leur très brève période démocratique.  

 

L'harmonie démocratique des premiers urbanistes Grecs déclinait une vision spatiale où chacun pouvait se mouvoir, se rencontrer, se promener, errer ; elle faisait partie d'un urbanisme pensé qui devait refléter l'institution politique de la société.

 

 

Jardin Anglais de Stourhead (Source Hans Bernhard. Wikimedia).
Jardin Anglais de Stourhead (Source Hans Bernhard. Wikimedia).

 Le jardin, dans tout ça?

 

Une figure presque "infigurable". Le jardin est la figure introuvable de la Grèce tant il accomplit ce qu'il est sensé représenter : ne plus être un espace délimité, clos, visible mais disparaître.

 

Aucun jardin Grec n'a été retrouvé, aucun espace qui aurait pu laissé croire qu'il était là, son souvenir a disparu. Sa représentation artistique elle-même est si rare qu'on ne sait si la chose et le mot existaient a priori dans la réalité Hellène.

 

Le mot lui-même est dérivé du Latin et non du Grec. Un Athénien nous parlerait d'Alos, du bois fantastique, de la forêt de l’Être, chère à Heidegger, d'un lieu où la nature parle à l’Être et l’Être à la Nature, un entre-deux, ni à l'un, ni à l'autre. Le jardin des Hespérides était lui même situé aux confins du monde. Il ne faisait guère partie de la ville, il l'entourait, il était une frontière à lui tout seul. L'espace vert était l'étendue, le domaine de l'invisible, il entourait les temples ou y menait, il encerclait la polis. L'espace démocratique d'un Clisthène n'en parlait pas. Solon laissait les jardins dans leur dimension sauvage.


Versailles en hiver (Source Julian Gomez).
Versailles en hiver (Source Julian Gomez).

 L'ordre Français était bien une autre harmonie, plus solaire, plus envahissante, il n'a pas laissé la Nature tel quelle est, il a voulu la singer. La Nature domestiquée s'enchaîne dans les lignes droites de la ville, du bâti.


Les lignes veulent y dire autre chose que l'errance Grecque et la circulation démocratique, où désormais l'un des points attire tous les autres, où la rencontre se fait par les chemins qui doivent nécessairement donner son importance à la sortie de l'errance, au point archimédien, architectural : le palais et derrière lui, en lui, son propriétaire.

 

Il y a dans le rapport géométrique à la nature quelque chose qui figure une conception politique éminente. Si l'Indien d'Amazonie parcourt la forêt sans jamais la prendre à son compte ni la posséder, c’est parce que sa conception politique d'une égalité absolue, quasi transcendantale, évite bien toute extériorisation du pouvoir, toute concentration dans les mains d'un seul.

 

Les Grecs, eux, ont cherché par leur maîtrise de l'espace à mettre en forme une étendue urbaine et humaine qui distribuait le pouvoir à chacun. Le jardin était hors de la Cité, un lieu sans pouvoir, sans homme, comme le souvenir sauvage de la forêt primitive.

Chennonceau. Jardin de Diane de Poitiers (Source Laure Trannoy).
Chennonceau. Jardin de Diane de Poitiers (Source Laure Trannoy).

  Le jardin Romain puis Italien puis le jardin à la Française rompent avec tout ça.

 

En cherchant à reprendre le modèle Romain, le Français donne un nom à l'espace vert, le clôt, l'emprisonne, non pas pour le rouvrir à lui-même, non pas pour en faire le détour qui débouche sur une représentation de la Nature comme on en trouve dans le jardin Anglais qui dirige l'errant sur un site pittoresque digne d'être peint, mais au contraire pour domestiquer l'ordre lui-même, le représenter, capturer l'ordre invisible, troué par des tranchées rectilignes qui ne vont que dans un sens, celui de l'Un, du Roi, du Propriétaire.

 

Le jardin devient celui d'un homme, d'un puissant.

 

La France est travaillée par Rome : comme ses jardins disent le pouvoir, ses institutions disent la séparation des gouvernants et des gouvernés. Sa conception s'adosse au Palais. On y erre qu'entre soi, qu'entre puissants, son architecture, devient solaire quand celle des Indiens était forestière et celle des Grecs auxiliaire et limitrophe.

 

Jardins du palais de l'Elysée. Source Wikimedia Commons
Jardins du palais de l'Elysée. Source Wikimedia Commons

Mais déjà, chez les Grecs, le ver était dans le fruit quand, à l'organisation Clisthénienne d'Athènes a succédé celle rêvée par Platon.

 

Platon, dans son Critias, décrit deux ordres de la cité en conflit, l'un où le jardin (comme le reste, comme les temples, les réfectoires, les allées) n'a plus pour but que de séparer les classes entre elles ; l'autre, celui de l'Atlantide, où les jardins à tous les niveaux rassemblent une multitude d'espèces d'arbres connus, sont traversés par des fleuves et bordent les demeures.

 

A chacun son espace. A chacun régime politique,  son jardin.

 

Jardin forestier quand la démocratie est là, jardin clos et droit quand la tyrannie cherche à poindre.

 

Les Tuileries sont indéniablement du côté du second. Ce n'est que lorsque le jardin lui-même disparaît, devient espace vert, espace naturel, forêt, parc national, réserves naturelles, que peut-être la dimension verte de la démocratie, son souvenir Grec et sauvage, s'impose à nouveau aux modernes.