Des morts pas ordinaires


"le mort saisi le vif"

Pour compléter les articles précédents, on s'arrêtera sur l'adage "le mort saisi le vif" qui signifie qu'en France le trône n'est jamais vacant, car dès qu'un roi meurt son successeur devient roi.

 

En 1655, Pierre Dupuy, juriste Français dans son "traité  de la majorité de nos rois et des régences du royaume" explique le fondement de cette loi du royaume.

 

"On tient en France pour loi certaine et indubitable, que jamais le royaume n'est vacant, qu'il y a continuation de Roy à Roy, que le mort sait le vif, et que nous avons un Roy sitôt que l'autre est mort sans attendre couronnement, onction, ni sacre, ni aucune autre solennité."

 

Pour aller plus loin sur le poids de cet adage dans l'histoire, nous vous invitons à lire l'étude intitulée "La mort saisit le vif. Genèse médiévale du principe d'instantanéité de la succession royale française", référencée ci-dessous :

 

(KRYNEN Jacques. La mort saisit le vif. Genèse médiévale du principe d'instantanéité de la succession royale française. In: Journal des savants. 1984, N°3-4. pp. 187-221. doi : 10.3406/jds.1984.1482 url : /web/revues/home/prescript/article/jds_0021-8103_1984_num_3_1_1482, Consulté le 03 mai 2015)

 

Pour conclure le sujet, on s'arrêtera brièvement sur deux cas exemplaires et extrêmes :  l'enterrement du Charles VI et la décapitation de Louis XVI.

 

C'est maintenant que l'essence du cérémonial entourant la mort des rois est à évoquer, en articulant deux événements historiques.

 

Dans le premier cas, en 1422, la cérémonie de passation dynastique qui se déroule dans le panthéon des rois est un sacrilège, quand le Hérault d'Armes Français proclame l’avènement sur le trône de France, d'un roi d'Angleterre.

 

Dans le second cas, le 21 janvier 1793, le sang du corps sacrifié de Louis XVI, fonde une nouvelle France. Pour les royalistes, le corps royal est immolé comme dans un sacrifice. Pour certains révolutionnaires, Louis XVI devait mourir pour que la République vive. C'est le sens du discours prononcé par Maximilien de Robespierre, le 3 décembre 1792, devant la Convention appelée à juger le roi.

 

" Il n'y a point de procès à faire. Louis n'est point un accusé, vous n'êtes point des juges [...]. Louis ne peut donc être jugé, il est déjà condamné ; il est condamné, ou la République n'est point absoute. Proposer de faire le procès de Louis XVI, de quelque manière que ce puisse être, c'est rétrograder vers le despotisme royal et constitutionnel ; c'est une idée contre-révolutionnaire car c'est mettre la révolution elle-même en litige. En effet, si Louis peut être encore l'objet d'un procès, Louis peut être absous ; il peut être innocent ; que dis-je ! il est présumé l'être jusqu'à ce qu'il soit jugé. Mais si Louis peut être présumé innocent, que devient la révolution ? N'est-elle pas encore incertaine et douteuse ?"


Gisant de Charles Vi et de son épouse. (Source : BNF, Gallica)
Gisant de Charles Vi et de son épouse. (Source : BNF, Gallica)


Moi je vais à mon tombeau, et puissent le repos et la paix y descendre avec moi. William Shakespeare. Richard III. Acte 4.



On l'a lu, c'est le duc de Bedford, qui au nom de son neveu Henri VI, conduit Charles VI à sa dernière demeure.

 

Instant dramatique pour le royaume de France, car dans les faits, si on écarte toute subjectivité sentimentale, c'est un Anglais qui représente aux funérailles Henri VI, qui âgé de neuf mois est devenu roi d’Angleterre et de France.


Charles Vl, est inhumé à Saint Denis le 9 novembre 1422.  Le corps du roi a été déposé dans un cercueil de plomb, ce dernier enfermé dans un cercueil de cèdre ; l'ensemble est recouvert d'un drap d'or. Enguerrand de Monstrelet a laissé un témoignage sur l'ensevelissement de Charles VI et la parution de l'effigie.

 

"Le corps estait sus une litière moult notablement, par dessus laquelle avait ung pavillon de drap d'or à ung champ vermeil d'azur, semé de fleurs de lys d'or. Par dessus le corp avait une pourtraicture faicte à la semblance du royu, portant couronne d'or et de pierres précieuses moult riches, tenant en ses mains gants blancs et anneaux moult bien garnis de pierres précieuses, et estoit icelle figure vestue, à justes manches et un mantel pareil fourré d'hermines et si avait ung chausse noire et un soulier de veluel d'azur, semé, de fleurs de lys d'or".

 

Le texte qui suit illustre la dramatique cérémonie qui s'est déroulé dans le panthéon des rois.

 

Le double cercueil du roi a été porté à sa dernière demeure. Le dallage de la chapelle édifiée par Charles V dans le transept Sud (qui sera plus tard appelée chapelle des trois Charles), est ouvert pour accueillir sa dépouille. Comme la coutume le réglait, le double cercueil est descendu dans la fosse. Les Regalias sont déposés sur la bière. Puis les huissiers d'armes brisent leurs verges de commandement, symboles de la fonction octroyée par le roi défunt. Et alors que le Héraut aurait du dans une continuité traditionnelle proclamer le règne de Charles VII,  la voix forte de Gilles Le Bouvier, dit le héraut Berry retentit contre les voutes du caveau.

 

"Dieu veuille avoir pitié et mercy de l'âme du très haut et très excellent prince Charles, roi de France, sixième de nom" ; ensuite, d'une voix de stentor il  proclame l'impensable :

 

"Dieu donne vie, à Henri, par la grâce de Dieu, roi de France et d'Angleterre, notre souverain Seigneur".

 

Grâce à un cérémonial qui valait un sacre, un enfant de dix mois, est devenu à la fois "roi de France et d'Angleterre" sous le nom d'Henri VI. Le héraut Berry, à partir d'une déclamation rituelle, inscrivait dans une continuité linéaire un changement de dynastie. Nul ne pouvait dès lors évoquer une usurpation de la couronne.

 

Le 30 octobre, le fils de Charles VI, se proclamait roi en son château de Mehun-sur Yèvres. La France avait deux rois ; l'un neuf mois, et l'autre avait 20 ans.

 


Cérémonial réginal

Isabeau de Baviere- smr par Martial d'Auvergne - (Source : Larousse. License sous domaine public Wikimedia Commons - http://bit.ly/1K9vRHH)
Isabeau de Baviere- smr par Martial d'Auvergne - (Source : Larousse. License sous domaine public Wikimedia Commons - http://bit.ly/1K9vRHH)

 Il existait aussi un cérémonial réginal. Même solennelles, les obsèques d'une reine ne sont pas comparables à celles d'un roi, dans le sens où comme on l'a lu,  la symbolique est plus forte autour du corps du roi.

 

On complètera en soulignant qu'en septembre 1435, le cérémonial funéraire appliqué à Isabeau de Bavière, ensevelie auprès de son époux Charles VI, a été digne d'une reine, alors que la réputation de la souveraine était détestable dans l'esprit de beaucoup.

 

Isabeau est la première reine à bénéficier, comme son époux, d'une effigie à sa ressemblance.

 

Isabeau décède dans l'hôtel royal de Saint-Pol le 24 septembre 1435. Comme le corps de son époux, sa dépouille reste exposée 3 jours. Ensuite la reine est déposée dans un double cercueil, de plomb et de bois.

 

Murielle Gaude-Ferragu (entre autres Maître de conférences à l’Université Paris-Nord et membre junior de l’IUF) dans ses travaux sur la mort de l'épouse de Louis XI (« L'honneur de la reine » : la mort et les funérailles de Charlotte de Savoie , Revue historique 4/2009 (n° 652) , p. 779-804 .URL : www.cairn.info/revue-historique-2009-4-page-779.htm. DOI : 10.3917/rhis.094.0779) souligne que cette dernière, comme Blanche de Navarre et Isabeau de Bavière, "rejetèrent explicitement" un l'embaumement induisant une partition du corps.

 

"Le journal d'un bourgeois de Paris" nous apprend que le 13 octobre l'ancienne souveraine est portée en milieu d'après-midi à Notre-Dame, passage obligé avant le grand départ pour le cimetière des rois et des reines.

 

Nous savons toujours par la même source d'information, qu'une effigie de la reine a été, posée sur le cercueil.

 

[...] le corps, qui était en haut levé sur les épaules de seize hommes, vêtus de noir, et était sa représentation moult bien faite, car elle était couchée si proprement qu'elle semblait qu'elle dormît, et tenait un sceptre royal en sa main dextre."

 

Le lendemain, après une dernière cérémonie religieuse à Notre-Dame, le cortège funéraire s'est dirigé vers le port Saint-Landry, situé sur la rive droite de l'ile de la cité. En raison de la guerre civile et des troupes des Armagnacs partisans du fils qu'elle avait renié qui contrôlaient de vastes étendues entre Paris et Saint-Denis, la reine et sa représentation de cire ont été embarquées sur un "batel", pour rejoindre la nécropole royale.

 

Elle y sera enterrée aux-côtés de son époux, dans la chapelle dite "des Charles".

 


Le dernier martyr du roi

Louis XVI, prisonnier au Temple, Jean Francois Garneray 1755 1837. (Source : téléversé par World Imaging, Wikimedia)
Louis XVI, prisonnier au Temple, Jean Francois Garneray 1755 1837. (Source : téléversé par World Imaging, Wikimedia)

Maintenant faisons un grand saut dans l'histoire, pour évoquer la symbolique attachée au corps du roi, loin du Moyen-âge et de la Renaissance, en examinant la mort de Louis XVI.

 

C'est un article signé par Antoine de Baecque (magazine Histoire, les collections de l'histoire N60) qui permet au présent rédacteur ce rapprochement.

 

Tout au long de sa captivité et de son procès, Louis XVI a supporté sans agacement les brimades dont il a été l'objet. C'est avec indifférence, qu'il a accueilli l'annonce d'un verdict annoncé : la mort, par décapitation.

 

Comme tous les grands tribuns, le discours argumentaire de Maximilien de Robespierre demandant la mort pour Louis XVI, pour lequel il n'éprouve "ni amour, ni haine" est d'une logique implacable. Il a été prononcé lors de la séance du 3 décembre 1792, tenue à la convention nationale. Il est aussi fluide que le sang qui coule de la guillotine :

 

[...]."Louis n’est point un accusé ; vous n’êtes point des juges " [...]."Mais Louis doit mourir parce qu'il faut que la patrie vive" avait affirmé Robespierre lors du procès du roi.

 

Discours habile de ce politicien qui demande la peine de mort pour le roi, alors même que cet ancien avocat d'Arras lors de débats à l’Assemblée constituante quelques années avant ( 30 mai 1791) s'était opposé à la peine de mort qu'il "abhorre". Robespierre anticipant les remarques de ceux qui ne veulent pas voter la mort se justifie habillement.

 

Un des rares moments où l'ex-souverain manifeste un grand trouble, et qui ne concerne pas sa peur de la mort, est un incident qui se situe juste avant qu'il ne monte à l’échafaud.

 

Le 21 janvier 1793, Louis XVI sort vers 10h00 de la voiture qui l'a accompagnée au pied de l’échafaud. Le bourreau Charles-Henri Sanson et ses  assesseurs (dont son fils Henri) l'y attendent. Le roi commence seul à se déshabiller, quand un aide de Sanson s'approche pour lui lier les mains.

 

Le roi choqué recule. Pour Antoine de Baecque, le roi refuse d'être touché ; il écrit, "en sacrifiant ainsi Louis XVI, la République immole le sacré dont le corps du roi était encore investi". Et l'auteur de compléter,  "L'inviolabilité de son corps est incompatible avec le déshabillage public et les liens qu'on veut lui imposer".

 

Voici les échanges qui s'ensuivent entre le condamné et Henri Sanson, qui s'est approché.

 

"Vous n’oserez pas porter la main sur moi, dit-il. Tenez, voici mon habit, mais ne me touchez pas". Et d'ajouter :

 

"Me lier ! Non, je n'y consentirai jamais. Faites ce qui vous est commandé, mais vous ne me lierez pas, renoncez à ce projet."

 

Le fils Sanson parlemente avec le roi, en lui proposant de lui attacher les mains avec un mouchoir

 

 "Avec un mouchoir, Sire"

 

Henri raconte qu'en entendant le titre de "Sire" qui ne lui est plus donné depuis fort longtemps, Louis XVI en reste interloqué.

 


Mort de Louis XVI. (Source : Wikimedia. Auteur Unbekannter Stich.Autrorisation PD Old.)
Mort de Louis XVI. (Source : Wikimedia. Auteur Unbekannter Stich.Autrorisation PD Old.)

C'est alors qu'intervient un nouveau personnage : l'abbé Edgeworth, autorisé à assister le roi, dans ces derniers instants.

 

Pendant que le fils Sanson essaie de convaincre le roi, son père supplie le confesseur du roi de lui faciliter la tâche.

  

L'abbé, pour mettre fin à une situation pénible trouve les mots justes en prenant l'exemple du Christ pour que le roi accepte cette dernière humiliation :

 

"Sire", dit l'abbé, "dans ce nouvel outrage je ne vois qu'un dernier trait de ressemblance entre votre Majesté et le Dieu qui va être sa récompense".

 

A ces mots raconte l'abbé, le roi leva les yeux au ciel avec une expression de douleur. En regardant son confesseur droit dans les yeux, Louis XVI se soumet :

 

"Assurément,  il ne faut rien de moins que son exemple pour que je me soumette à un pareil affront"

 

Puis se tournant vers ses bourreaux, Louis XVI parfaitement calme les rassure :

 

"Faites ce que vous voulez, je boirai le calice jusqu'à la lie".

 

Et le roi de monter tranquillement les quelques marches qui le rapprochent du ciel. Arrivé sur le plancher où est placé la guillotine, il surprend ceux qui l'accompagnent en faisant taire les tambours et en criant au bord de la balustrade de l’échafaud :

 

"Je meurs innocent de tous les crimes qu'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France."

 

Passé l'effet de surprise, sur un ordre lancé par Santerre, commandant de la garde nationale, dans un rythme effrénée, les roulements de tambours reprennent, empêchant la voix du roi de porter. Vaincu, ce dernier se rend à ses bourreaux. Il aurait déclaré à Sanson et à ses assistants

 

"Messieurs, je suis innocent de tout ce dont on m'inculpe. Je souhaite que mon sang puisse cimenter le bonheur des Français".

 

La dernière parole qu'il entend, alors que sa tête est engagée dans la lunette de la guillotine, est celle de son confesseur :

 

"Fils de Saint Louis, montez au ciel".

 

 A 10h22 la tête du roi est tombée ; une chute historique !

 

Les rites ayant été institutionnalisés, le caractère sacré des funérailles royales était perdu : la décapitation de Louis XVI apporte une nouvelle dimension symbolique à un rite qui avait perdu de son sens. Le sang royal cimente les bases de la République, et fortifie les royalistes.

 

Sous haute surveillance, le corps du roi destiné à disparaitre physiquement est jeté dans une fosse anonyme et recouvert de chaux vive.

 

Mais cette anonymat ne suffit pas à tuer un lignage.

 


L'ombre de l'enfant-roi, tache sombre sur l'histoire de la République

 Louis XVII. Auteur Augustin Challamel, Desire Lacroix.Jouvet & Cie, éditeurs. (Source : Wikimedia)
Louis XVII. Auteur Augustin Challamel, Desire Lacroix.Jouvet & Cie, éditeurs. (Source : Wikimedia)

Mais cette anonymat ne suffit pas à tuer un lignage.

 

Dès lors, son fils âgé de 10 ans devient roi et devient un enjeu politique divisant un pays plongé dans le chaos de la révolution. L’enfant-roi, titré pour son malheur, Louis XVII, par un froid mois de janvier 1793, dans la sinistre prison du Temple sera obligé d'expier impitoyablement pour "sa race". Triste sacre pour ce prince héritier de "soixante six rois", incroyable cérémonie des néants commencée lorsque le canon a annoncé la mort de Louis XVI par décapitation. A ce signal entendu à la prison du Temple, Marie-Antoinette, sa fille et sa belle-sœur se sont agenouillées en larmes devant l'enfant en le saluant du titre de roi.

 

Les incertitudes qui planent sur la disparition  de Louis XVII, et l'impossibilité d'identifier son corps renforcent le mystère qui plane sur la vie et la mort du dernier fils de Louis XVI et de marie-Antoinette.

 

Encore, aujourd'hui, alors que l'ADN prélevé sur le cœur de l'enfant mort au Temple semble confirmer que l'organe appartient bien au fils de Louis XVI, certains argumentaires contraires et étayés jettent encore le doute sur la fin de l'enfant.

 

Si une incertitude existe sur l'identité des corps de Louis XVI et de Marie-Antoinette ramenés à Saint-Denis lors de la restauration monarchique, le martyr de l’enfant et de sa jeune tante Élisabeth n'aura pas été suffisant aux yeux de leur créateur pour leur donner droit au repos du cimetière des rois.

 

Les conditions de détentions de la famille royale enfin révélées et la fin dramatique de ses membres  (seule la fille de Louis XVI échappe à la mort) apportera aux historiographes royalistes qui auraient été en manque d'imagination une matière inespérée pour des panégyriques pompeux sous  la Restauration.

 

Mais était- ce vraiment indispensable ? L’anéantissement brutal des puissants a toujours troublé les masses laborieuses. Le calvaire de la famille royale, inhumain certes, mais égal à ceux infligés aux autres victimes de la Terreur fascine le peuple. Et ce dernier, la paix civile restaurée lui aussi sacralise la malemort du couple royal et du dauphin, une fois "l'humanité" des prisonniers royaux ainsi que leur courage face aux humiliations. Napoléon 1er l'a bien compris : en faisant détruire la prison du Temple, il supprimait un lieu de recueillement pour idolâtres qui pouvaient menacer sa propre dynastie.  Le calvaire des Grands et leur fin terrestre ne seront jamais comparables au sort médiocre et banal des humbles. Seule le destin des premiers sera source de légendes.