Je tiens ce monde pour ce qu'il est : un théâtre où chacun doit jouer son rôle. William Shakespeare. Le marchand de Venise
Le 29 mai 1418, alors que le royaume est plongé dans une guerre civile entre Bourguignons et Armagnacs que les Anglais occupent une partie du royaume, que la famine et les épidémies s’ajoutent aux malheurs du pays des lys, le dauphin Charles âgé de 15 ans sautant en selle fuit la capitale pour échapper au duc de Bourgogne qui s'est emparé de Paris.
Réfugié à Bourges, alors que son père, le roi fou, est resté à Paris avec la reine Isabeau de Bavière, Charles se proclame régent de France. Il a pour voisine une
précieuse alliée qu'il considère comme sa mère : Yolande d'Aragon, duchesse consort d'Anjou et du Maine.
En 1420, le traité de Troyes qui met fin au conflit franco-anglais, écarte de la succession le dauphin au profit d'Henri V, roi d’Angleterre.
A Bourges, le dauphin constitue une cour delphinale. Allié aux Armagnacs, il contrôle globalement le centre et le sud du royaume (Anjou, Auvergne, Berry, Dauphiné, Orléanais, Languedoc, Lyonnais, etc...).
En 1422, l'âme de Charles VI s'envole vers un monde meilleur, et Charles se proclame roi. Par dérision, ses ennemis le qualifient "le roi de Bourges". En 1429, Jeanne d'Arc ira l'y chercher pour le conduire à Reims, où il y sera sacré roi de France, sous le titre de Charles VII.
Bientôt les Anglais sont "boutés hors de France" et le pouvoir royal français restauré. Le statut de Paris comme capitale du royaume n'est pas assuré. Là où est le roi dans son château, là est le gouvernement. Charles VII continuera à résider dans son cher Val de Loire. Le pays qui l'avait accueilli et soutenu alors que l'ennemi traditionnel aidé de ses adversaires cherchait à s'emparer de sa personne, est réputé pour sa douceur, ses forêts indispensables au plaisir de la chasse. Charles VII rendra l'âme non loin de Bourges.
Dès lors la monarchie confirme son caractère itinérant le long des rives de la Loire. Dans "d'aimables fugues" ses successeurs délaissant Paris, partageront leur temps entre les châteaux d'Amboise, Blois, Chambord, Chinon.... L'architecture d'Amboise et de Blois, sont les premières, respectivement, à emprunter à la Renaissance un style architectural et une ornementation appelés à remplacer le Gothique.
En 1528 sorti de sa geôle Madrilène, François 1er installe le pouvoir, du moins symboliquement, à Paris ; il met ainsi fin au nomadisme d'une
cour devenue au fil des années pléthorique. Le roi arrête son choix sur le Louvre, qui devient la "résidence ordinaire" du souverain, après avoir été principalement celle de Charles V.
Le Paris de la Renaissance est une ville très urbanisée et présentant des caractères d'insalubrité. Pour loger sa mère qui a des problèmes de santé, et avec laquelle il entretient une relation
fusionnelle, François 1er, lui propose une maison de campagne qui extra-muros, conserve tous les avantages d'un cadre champêtre au bon air, à deux pas du Louvre. Le site est dit des
Thuileries.
En 1559, quand Henri II, fils de François 1er meurt à l’Hôtel des Tournelles, sa veuve Catherine de Médicis part loger avec le nouveau roi François II et la famille royale au château du Louvre.
Sans trop s'éloigner du centre du pouvoir, celle qui est devenue la "Royne mere du Roy", décide de se faire construire, sur le site des Tuileries, sa propre demeure, une résidence de prestige, à 500 mètres environ du Louvre.
Comme un rêve de pierre, un palais de style Renaissance, dans une zone périurbaine ! On lui adjoindra aussi un jardin. C'est l'architecte Philibert Delorme qui en sera le maître d'œuvre. Le site retenu, peu urbanisé, situé à l'extérieur des murailles de Paris offre un dégagement qui autorise toutes les audaces architecturales, notamment la création d'un vaste jardin enchanté, clos de murs. Un jardin extraordinaire qui sert de mise en scène à "quelques effets spéciaux" faisant appel aux meilleurs artistes et technicités de son temps, comme le maître-céramiste, Bernard Palissy.
En ces temps incertains où le pouvoir royal vacille, où l'enfermement dogmatique de ses sujets précipite le royaume dans une guerre religieuse, dans l'esprit de Catherine, une réalisation prestigieuse doit rehausser l'aura de la dynastie des Valois. C'est ainsi qu'est décidé la construction du palais des Tuileries, alors même que le trésor royal est vide.
le 14 octobre 1988, à l'occasion de l'inauguration de la pyramide du Louvre, dans son allocution dédiée à cette cérémonie, François Mitterrand qui aimait l'histoire se souvient :
[...] une reine italienne, Catherine de Médicis, qui cherche plus de beauté, plus de confort, et qui dessine un palais à l'italienne. J'ai commis des erreurs, les grands spécialistes ici à l'esprit extrêmement aigu et critique feront bientôt les corrections nécessaires, mais en gros, ce que je vous dis là doit être exact. Naturellement, elle a dessiné un jardin. Un jardin à l'italienne, bien dessiné, avec un axe. Cet axe c'était la porte du palais des Tuileries et c'est ainsi que s'est esquissée la perspective que l'on admire beaucoup toujours, celle de la Concorde, des Tuileries, Champs Élysées, les arcs de Triomphe, jusqu'à la future, l'actuelle arche de la Défense[...].
Je viendrai fidèle, parfumer ta tombe des plus belles fleurs de l'été
[...]
Cymbeline. William Shakespeare
Mais remontons au jour fatal du 10 juillet 1559. Catherine prend un deuil qu'elle ne quittera plus. On l'a observée en 1557 en artiste accomplie utiliser des couleurs funèbres pour communiquer de manière dramatique avec les notables parisiens. Elle porte le noir comme les reines assurées portent la couronne : avec aisance, affectation et noblesse.
Pour elle un personnage endeuillé est le stéréotype idéal pour véhiculer ses messages politiques. Le deuil lui donne une dignité faite pour inspirer le respect de l'autorité qu'elle incarne, comme veuve de roi et mère de rois. Ainsi elle présente au royaume une double douleur. La première est vibrante d'émotions affichées mais retenues, la seconde, comme la première que cela soit dit, pleine d'opportunité est pour la galerie. Son air sombre complète une dramaturgie écrites pour des douleurs inexprimables. Elle si pudique, se distingue dans un exhibitionnisme macabre. Son nouvel emblème représente une lance brisée, accompagnée de la devise : "Lacrymae hinc, hinc dolor" (De là viennent mes larmes et ma douleur).
Catherine ne supporte pas de vivre là où son époux a agonisé. Elle part loger avec la famille royale au Louvre.
Sans trop s'éloigner du centre du pouvoir, elle décide de se faire construire sa propre résidence, à 500 mètres environ du Louvre. Pour édifier son palais de style Renaissance, elle s'en remet à l'architecte Philibert Delorme. Le site sera celui des Tuileries et le palais suburbain.
A la mort d'Henri II, le Louvre sur la rive droite de la Seine, butte sur une ville fortement urbanisée. Même si les premières mesures prophylactiques et de lutte contre l’insalubrité prises par les rois ou les municipalités datent de la fin du XV siècle, Paris présente encore en certains endroits les inconvénients d'une cité médiévale fangeuse, malodorante.
Au Moyen Age, quand le ciel vidait ses eaux sur la capitale, les rues vomissaient des torrents bourbeux "d'immundicitez", qui n'épargnaient même pas ceux qui tenaient le haut du pavé et rares étaient les voies pavées ! Oublié le premier égout couvert construit par les Romains ! Respectivement sur les rives droite et gauche de la Seine, le ruisseau de Ménilmontant et la rivière de Bièvre servaient de réseaux d'évacuation aux Parisiens, desservant dans la Seine leurs immondices fétides. Cette dernière était devenu le principal égout aquatique de la capitale et un foyer d'infection. En 1370, sous le règne de Charles V préoccupé de l'assainissement de sa capitale, le prévôt de Paris Hugues Aubriot fait construire, entre autres, le premier égout parisien vouté depuis l'occupation romaine.
La ville et une majorité de ses habitants étaient sales, victimes trop souvent d'épidémies. A la Renaissance Montaigne déplore que ses contemporains aient la peau «estoupée de crasse». Les cheveux crasseux, galeux, teigneux, pouilleux et belistres, en haillons ne se comptaient plus, qui cherchaient dans les détritus leur survie quotidienne. A cela, ajoutons que la majorité des parisiens sont enterrés dans la ville.
En 1562, la peste tue 20 000 parisiens. Parmi les facteurs aggravants de mortalité, s'ajoutent les crues de la Seine, aux eaux polluées. Et le fleuve insalubre d'exhaler des odeurs nauséabondes.
Aux beaux jours, quand les nuages désertaient l'azur, que le ciel plombait de ses rayons la ville, les odeurs des déchets, des déjections humaines et animales empestaient l'air de leurs miasmes fétides jusqu'aux fenêtres du Louvre.
Et dans le palais, les fragrances délicates des dames se mêlaient aux émanations des viandes rôties s'échappant des cuisines et des puanteurs des rues et des latrines avoisinants la résidence royale.
Roi de la Renaissance, François 1er se devait de remédier à une situation malodorante peu conforme avec son bien-être et sa qualité de vie. Et le roi de se lancer dans l'assainissement de sa capitale et la maitrise de ses effluents !
Sachant que jambon et couenne n'en seront pas moins meilleurs, François envoie porcs, truies et gorets fouir du groin loin de Paris et ordonne que le cheptel domestique soit élevé en dehors de l'aire urbaine. Malgré cette mesure visant la pollution animale, la capitale connait des problèmes de salubrité. La majorité des rues qui sentent la liberté ne sont pas pavées, les ordures pas toutes évacuées, certaines étant jetées malgré l'interdit. L'odeur des excréments des animaux errants qui se mêlaient aux remugles de la ville ajoutait à une pestilence dérangeant l'odorat du roi.
Ainsi François commande le creusement de fosses (pas forcément étanches) sous les immeubles, vidées la nuit par les "maîtres Fi-Fi" (qualification probablement issue du latin Fimus, fiens ou fiente, et qui aurait donné plus tard l'interjection : Fi! Monsieur) , formant la corporation des égoutiers parisiens. Le roi met en place, contre paiement d'une taxe par les bourgeois, un ramassage des "boues" Les bourgeois lésinent à payer cet impôt nouveau visant à permettre aux "boueux" d'évacuer ces déchets. Un impôt de plus ! qui comprend ?
A la mort de son époux ayant succédé à François 1er, Catherine se lance dans l'immobilier. Le site qu'elle choisi en se passant de la loi Duflot est hors de l'enceinte urbaine de Charles V. A côté du cloaque parisien c'est un faubourg peu urbanisé. Bien aéré par une douce brise qui aimait s'y ébrouer et ébouriffer ce qu'elle rencontrait, l'emplacement est encore pastoral. Aux portes de Paris, les Tuileries gardent encore les caractéristiques très agréables d'une campagne arborée, verdissante, fleurie, à la faible pollution sonore et où les oiseaux vocalisent. Les terres sont labourables et on y dénombre quelques clos. Dans un premier temps le site est connu comme "La sablonnière". Géologiquement il se trouve globalement à la jonction aval des deux bras de la seine et a été recouvert d'alluvions argileuses. Ceci y expliquerait l’apparition de tuiliers dont les activités vont faire oublier le nom se La sablonnière.
Globalement, le lieu a la forme d'un grand rectangle. Dans une orientation d'Est en Ouest, il est délimité à l'Est par l'enceinte de Charles V et se termine sur un fossé creusé sous François 1er en 1523, destiné à l'érection d'une enceinte fortifiée non réalisée sous son règne (elle le sera sous Charles IX, aux fins de protéger le château des Tuileries ; elle sera dite enceinte Charles IX ou aussi des "Fossés jaunes" ; elle sera achevée sous Louis XIII).
Au Nord, l'emplacement est bordé par la grande rue Saint Honoré (actuelle rue de Rivoli) et au Sud par le quai de Seine.
Cet article se limite à donner en complément quelques indications notamment topographiques pour mieux préciser le site que Catherine a choisi pour élever son palais.
Dès 1274, à l'extérieur du rempart de Charles V (d'Est en Ouest), la présence d'activités liées à la fabrication de tuiles et de poteries est établie.
En 1416, Charles VI pour des raisons d'hygiène ordonne que toutes les "tueries et escorcheries" soient transportées hors des murs de la ville, près ou environ des Tuileries Saint Honoré, qui sont sur la rivière de Seine outre les fossés du château du Louvre.
Toutefois, la présence de ces activités (à y ajouter du maraîchage) n'empêche pas le site de demeurer un lieu agréable, entre ville et monde rural. L'endroit était connu pour s'appeler dès le quatorzième siècle, la Sablonnière, mais la présence de fabrique de tuiles, en changera progressivement le nom en Tuileries. Ce microtoponyme révèle les activités de production et commerciale dominantes. Très probablement des gisements de sables-argileux présents sur le site ou à proximité fournissaient la matière première nécessaire aux tuiliers. C'est le nom des Tuileries qui va définitivement prévaloir.
A souligner également que le prévôt de Paris et ancien grand trésorier de France du roi Charles VI, Pierre des Essarts (pendu au gibet de Montfaucon en 1413) était propriétaire sur le site de 40 arpents de terre et d'une gentilhommière, dite Hôtel des Tuileries, dont les fondations ont été trouvées proches du Carrousel, dont les fondations ont été trouvées proches du Carrousel. Guillaume Fonkenell identifie un premier propriétaire de ce logis en 1309 : Ernoul de Grand-Maison.
Nous allons maintenant découvrir que l'histoire des Tuileries est indissociable de celle du Louvre.
Les rives de la Loire, depuis Blois jusqu’à Angers, ont été l’objet de la prédilection des deux dernières branches de la race royale qui occupèrent le trône avant la maison de Bourbon. Ce beau bassin mérite si bien les honneurs que lui ont faits les rois, que voici ce qu’en disait naguère l’un de nos plus élégants écrivains :
« Il existe en France une province qu’on n’admire jamais assez. Parfumée comme l’Italie, fleurie comme les rives du Guadalquivir, et belle, en outre, de sa physionomie particulière, toute Française, ayant toujours été Française, contrairement à nos provinces du Nord abâtardies par le contact allemand, et à nos provinces du Midi qui ont vécu en concubinage avec les Maures, les Espagnols et tous les peuples qui en ont voulu ; cette province pure, chaste, brave et loyale, c’est la Touraine ! La France historique est là ! L’Auvergne est l’Auvergne, le Languedoc n’est que le Languedoc ; mais la Touraine est la France, et le fleuve le plus national pour nous est la Loire qui arrose la Touraine. On doit dès lors moins s’étonner de la quantité de monuments enfermés dans les départements qui ont pris le nom et les dérivations du nom de la Loire. À chaque pas qu’on fait dans ce pays d’enchantements, on découvre un tableau dont la bordure est une rivière ou un ovale tranquille qui réfléchit dans ses profondeurs liquides un château, ses tourelles, ses bois, ses eaux jaillissantes. Il était naturel que là où vivait de préférence la Royauté, où elle établit si longtemps sa cour, vinssent se grouper les hautes fortunes, les distinctions de race et de mérite, et qu’elles s’y élevassent des palais grands comme elles".
Sur Catherine de Médicis. Honoré de Balzac
En 1528 François 1er fixe sa résidence à Paris. Son choix s’arrête sur le Louvre, dont il fait raser, le principal symbole : le donjon, dite aussi la grosse tour. Délaissé par les successeurs de Charles V qui préféraient d’autres logis, comme les Hôtels de Saint Pol ou des Tournelles, le Château de Vincennes, la forteresse du Louvre nécessite des aménagements importants pour ressembler à un palais.
Cette décision est importante. En effet, depuis des siècles, le Val de Loire accueille une monarchie itinérante. Si Paris demeure la capitale politique et économique, les rois partagent leur temps entre diverses résidences de villégiatures construites le long de la Loire, entre Anjou, Orléanais et Touraine.
Tout a commencé en 1418. Le 29 mai 1418, le dauphin Charles, duc de Berry, de Touraine, et comte de Poitou, pour sauver sa liberté, fuit Paris pour se réfugier à Bourges. Son père Charles VI, le fou, est resté à Paris. Le dément a écarté son fils de la succession et choisi le roi d'Angleterre pour monter sur le trône de France, à sa mort. Le 21 octobre 1422 Charles VI meurt à Paris, et c'est à Mehun sur Yèvre que le dauphin se proclame roi, sans pouvoir se faire sacrer à Reims, ni prendre le contrôle de Paris.
Le 25 février 1429, une pucelle, viendra le chercher dans son château de Chinon "Gentil dauphin, je te dis de la part de Messire Dieu que tu es vrai héritier du trône de France". Jeanne d'Arc le conduira à la ville des sacres pour son couronnement, sous le titre de Charles VII. C'est au château de Mehun-sur-Yèvre que le roi meurt (il était né à l'hôtel Saint-Pol à Paris). Dès lors, tous les rois délaissant Paris, habiteront dans leurs châteaux du Val de Loire. Amboise, et Blois, respectivement, sont les premières résidences a profiter de l'influence architecturale de la Renaissance.
Mais quittons le doux Val de Loire, pays de douces villégiatures, des forêts giboyeuses, des bois ombreux, pour revenir dans la capitale du royaume de France.
Au début du seizième siècle Nicolas Neuville, sieur de Villeroy, entre autres fonctions secrétaire des finances possédait à Paris, près de la Seine, sur le site des Tuileries, une maison avec cours et jardin clos de murs. Ce domaine composé de deux pavillons surmontés de toits en ardoise faictz en façon de cloche bétait dit "domaine des cloches" et son jardin adjacent ''jardin des cloches". Le domaine des cloches a été probablement construit par un financier Pierre Legendre. Les terres de ce financier faisait partie d'un domaine plus vaste (globalement 7 hectares) ayant appartenu à un certain Jean Mandol au XIV siècles. Le domaine a été démembrée à la suite de successions.
François Ier, achète en 1578 le domaine des cloches, pour Louise de Savoie, sa mère, dont les problèmes de santé semblaient liés à la proximité d'eaux stagnantes de l'épouvantable égout de Sainte-Catherine, près de sa résidence des Tournelles. Comme dédommagement, Nicolas Neuville, reçu en contrepartie le château et les terres de Chanteloup, près de Montlhèry. C'est ainsi que le domaine des Tuileries (maison, jardin) devint propriété royale. Plus tard, Louise de Savoie donne en viager son hôtel à Jean Tiercelin, maître d'hôtel du Dauphin, et à sa femme Julie du Trot.
En 1549 et 1559, toujours domaine de la couronne, cette possession est offerte dans les mêmes conditions par Henri II, respectivement à Vespasien Calvoisin Vivier et Scipion Provène, tous deux écuyers de l'écurie.
Jacques Hillairet note que dès 1518, des écuries trop à l'étroit au Louvre, s'étaient installées dans une dépendance du domaine. L'habitation serait devenue une sorte de maison de fonction attribuée aux deux écuyers.
Cet auteur précise également que François 1er "n'avait pas acheté la totalité du domaine de Nicolas de Neuville, qui resta propriétaire de la partie de son clos située entre le domaine cédé à la couronne et le Clos des Quinze-Vingts, partie qui, après sa mort, en 1533 échut à l'aîné de ses fils [...].
Sommes tirannisés, en nostre propre France,
D'une femme estrangère à qui notre substance
Bastit des Tuileries pour son desbordement.
Pierre de Ronsard
Catherine, eu égard à son statut, souhaite un vrai palais, pas un simple domaine comme le jardin des Cloches, ni même une villa Médicéenne qui serait déplacée dans le paysage. En découvrant les plans et dessins du projet initial, on est assuré que la résidence qu'elle projette doit attester de la puissance de la commanditaire. Mais on ne peut pas limiter à son seul égo, la réalisation d'un dessein architectural aussi ambitieux.
En ces temps incertains où le pouvoir royal perd de son autorité, dans son esprit, une réalisation prestigieuse peut rehausser l'aura de la dynastie des Valois. N'oublions pas que Catherine est une Médicis, lignée pour laquelle la magnificence d'une réalisation artistique est au service de la politique. Il entre probablement aussi dans les objectifs de la reine mère, de transmettre à une postérité émerveillée un chef-d'œuvre architectural auquel son nom serait lié.
Michel Carmona (Le Louvre et les Tuileries) souligne que "Le projet d'édification du château des Tuileries obéissait à l'origine au modèle que l'on pouvait observer dans les villes princières d'Italie où, un peu à l'écart d'un palais d'apparat, princes et rois se faisaient construire une résidence moins formelle, éloignée des pesanteurs du protocole".
De 1564 à 1567 pour satisfaire son projet, elle acquiert entre autres quarante arpents propriétés de l'hôpital des Quinze-Vingts (ndlr -source Les architectes Percier et Fontaine). et des terres dédiées à des activités diverses. Quelques lignes sur l'hôpital des Quinze-vingt.
C'est vers 1260 que Louis IX (saint Louis) fonde l'hospice des quinze-vingt, pour y accueillir les aveugles de Paris. Il était situé sur une terre dénommée Champourri, à l'abri du rempart de Charles V. Le nom de « Quinze-Vingts » signifie trois cents (15 × 20, soit 300 aveugles) dans le système de numération vicésimal (trois cents lits étaient réservés aux aveugles). L’hospice est riche. Les bâtiments principaux sont près de la porte de Saint Honoré. Le domaine occupait une superficie qui couvrirait la place du Palais-Royal, la place et le jardin du carrousel, ainsi qu'une partie Nord du jardin des Tuileries.
Catherine achète à l'hospice des terrains connus sous le nom de clos des aveugles, ou courtille des Quinze-vingt, terres situées hors du rempart de Charles V.
Parmi les autres transactions de la reine-mère notons le rachat du couvent des Filles repenties. L'édifice religieux est détruit, comme le domaine des cloches. Dans le périmètre des acquisitions, outre une ''escorcherie'', on identifiera tout particulièrement les biens de deux tuiliers Jean-aux-Boeufs et Aubin Poullart. Ils pratiquaient leur activité près de la tour de Bois (donc près de la Seine). La légende veut que Jean-aux-Boeufs soit le spectre des Tuileries. On y reviendra. Les métiers liés aux tueries, escorcheriers, maraîchage, potiers, et tuiliers cessent sur le site et comme les filles repenties, ouvriers et propriétaires des précédentes activités sont invités à s'installer ailleurs.
Cet espace extra muros ouvert à l’infini vers l’ouest permet toutes les audaces urbanistiques à Catherine de Médicis. Son projet de palais situé à l'extérieur de l'enceinte de Charles V amorce indirectement une périurbanisation vers l'Ouest.
Philibert de Lorme se présente dans son essai d'architecture comme ayant une longue expérience
"je vous advertiray que depuis trente-cinq ans en çà et plus, j'ai observé en divers lieux que la meilleure partie de ceux qui ont faict ou faict faire bastment"
Le même, au sujet du mauvais architecte, qui a "une bouche pour bien babiller et mesdire, et un bonnet de sage, avesques l'habit de mesme pour contrefaire un grand docteur". [...] "Le dit homme n’a point de mains, pour montrer que ceux qu’il représente ne sauraient rien faire. Il n’a aussi aucun yeux en la tête, pour voir et connaître les bonnes entreprises : ni oreilles, pour ouïr et entendre les sages: ni aussi guère de nez, pour n’avoir sentiment des bonnes choses".
Catherine de Médicis confie la réalisation de son projet à un maître d'œuvre bien connu de la Cour et tombé en disgrâce à la mort d'Henri II : Philibert de Lorme, de confession protestante.
Philibert de Lorme, était né à Lyon. A 14 ans, il était parti travailler en Italie et était rentré en France en 1566. Encore jeune, il avait travaillé à fortifier Lyon et à édifier le portail de l'église de Saint Nizier. Ceci expliquerait la raison pour laquelle en 1545 François 1er en avait fait pour son duché de Bretagne "maistre architecte et conducteur général de nos bastiments et édifices, ouvraiges et fortifications". Cette mission qui le conduisait à inspecter des ports comme Brest, pourrait expliquer que cela l'a inspiré pour inventer la technique de charpente dite à "petit bois" (ndlr : bien entendu c'est l'économie de. bois qui est à la base de l'invention). Elle correspond à la construction de toits en forme de carène visible dans certaines régions françaises.
Le titre d’architecte du roi lui avait été décerné par le roi Henri II, pour la première fois en France. Sa mission allait plus loin que la création ou l’entretien et l’agencement de bâtiments. Ainsi il avait organisé l’entrée parisienne solennelle du roi Henri II après son sacre ; il avait été également le grand ordonnateur de la cérémonie du couronnement de Catherine à Saint-Denis. Outre l'édification de certains châteaux, on lui doit aussi le tombeau de François 1er. Henri II en avait fait son conseiller et son aumônier.
Philibert de Lorme était chanoine de Notre-Dame de Paris (comme Pierre Lescot, architecte en charge du Louvre), et aussi abbé de Livry (le lieu plus tard sera Ivry-la-bataille), saint Eloy-lez-Noyon, saint Serge-lez-Angers... Sa qualité d'abbé explique la remarque supposée de Ronsart contre l'architecte, réputé imbu de sa personne et de fréquentation peu sympathique. Contrairement à ce qui a pû être écrit Rabelais n'était pas son ami ; Ronsard et Palissy étaient ses ennemis affichés.
A la mort d'Henri II il tombe en disgrâce, notamment en raison de ses liens avec Diane de Poitiers pour qui il a construit le château d'Anet. François II (conseillé par Catherine) deux jours après son avènement lui avait retiré par lettres patentes en date 22 juillet 1559, son titre d’architecte du roi pour l’attribuer à l’artiste Italien Francesco Primaticcio. Catherine pourtant rappel de sa disgrâce Philibert de Lorme pour lui édifier son palais des Tuileries.
Marie-Catherine de Pierrevive, dame du Perron et d'Armentières (qui administre ses biens, été sa dame d'honneur et gouvernante du futur Charles IX), en tant que "femme architecte" a pour charge de superviser le projet. Sa famille Lyonnaise était originaire du Piémont, elle était l'épouse du banquier Florentin, Antonio Gondi, seigneur du Perron, issue d'une famille noble Florentine. De nombreux liens économiques liaient Florence et Lyon, où une communauté importante de marchands-banquiers florentins, notamment par le biais du mécénat, contribuaient au développement artistique de la ville. Antonio Gondi était un membre éminent de cette communauté. Marie-Catherine avait de nombreux collaborateurs, originaires de Lyon.
Voici ce qu'écrit Philibert de Lorme au sujet du site retenu, du plan du palais et du début de son élévation. Il nous informe aussi sur les interventions de Catherine aux propositions de son architecte.
"Ce lieu eftoit, n'a pas long temps, vne place aux faulxbourgs de S.Honoré à Paris, du cofté du Louure, & eft coftoyé de la riuiere de Seine, où il y auoit certaines maifons dediées à faire des thuilles, & pres d'iceluy y auoit quelques beaux jardins. La Royne mere du Roy ayant trouvé ce lieu bien commode pour faire quelques baftiment plaifant, fift commençer à y baftir, & ordonna premierement le deffin que vous en ay figuré : auec ce fift dreffer les iardins, fuyuans, & ainfi que vous les voyez par mes portraits. Icelle dame ayant bien confideré le premier deffein, ne là degueres depuis changé, excepté quelques augmentations, qu'elle a delebiré y faire. Ce baftiment n'eft de petite entreprinfe, ne de petite œuuvre : & eftant paracheué, ce fera maifson vrayment Royalle. Vne partie des fondemens font affis il y a ia affez long temps ; mais il n'y a encor qu'vn corps double efleué, portant deux faces, feruant iceluy corps de membres de comoditez, & d'vne gallerie ioincts enfemble. En l'vne des faces esft la gallerie do cofté du iardin : en l'autre font les commoditez du cofté de la cour. Le portail qui eft au milieu de ce corps, eft garni de coulonnes fort enrichies de certains marbres & de iafpes. Tout ce qui eft bafti, efct faist de bonne, matiere de pierre de taille auec bonne ordonnance & fymmetrie, or d'autant qu'il n'y a eleuation que dvn corps, ie ne vous en déclareraz point davantage [...].
En décembre 1563, Charles IX signe une ordonnance fixant le début de l'année au 1er janvier, et non plus à Pâques.
Le 28 janvier 1564 parurent les lettres patentes du roi Charles IX, ordonnant la démolition de l'hôtel des Tournelles. La vente des pierres étaient supposées permettre le financement du Louvre et des Tuileries ; on l'a compris la prévision financière était fausse. Comme aujourd'hui, le budget prévisionnel est bien souvent volontairement sous-estimé, et le peuple sera mis à contribution pour payer l'addition. Catherine pourra avancer qu'un chantier aussi important est source de création d'emplois. Le 28 février suivant dans une ordonnance royale, apparait le nom du frère de l'architecte, Maistre Jean de Lorme, contrôleur général des Bâtiments de France ; il y est indiqué qu'il est chargé de la vente des terrains.
Les blocs de pierre pierres utiles à la construction du château seront extraits des carrières de Vaugirard et de Notre-Dame des Champs. Ils passeront de la rive droite à la rive gauche, transportées par des "passeurs d'eau" qui utiliseront un bac, construit à cet effet, pour traverser la Seine. la lettre patente en date du 9 septembre 1550 précise que le bac sera construit aux alentours du "port des passeurs". L'actuelle rue du Bac tient son nom de cet épisode. Pour clore ce point, il convient d'ajouter que dans leur monographie "Topographie du vieux Paris" (région du faubourg Saint-Germain- page 44-BNF-Gallica) MM.A.Berty et L.M Tisserand développent un argument intéressant. Le bac préexistait aux travaux du château et son installation aurait conduit au percement de la rue du Bac.
L'établissement du bac et son utilisation avaient donné lieu à deux contractualisations écrites entre d'une part le maître d'œuvre Philibert de Lorme et la dame du Perron, et d'autre part, la communauté des maitres passeurs d'"eaue parisiens". Le bail du 29 novembre 1594 précise que la concession vise à "passer et repasser toutes les pierres et matériaulz et aultres choses nécessaires par ledict bastiement" (le premier bail date du 14 mai 1564).
Le plan original imaginé par Philibert de Lorme est connu grâce à la parution faisant référence de Jacques Ier Androuet du Cerceau " Les plus excellents bastiments de France ". Parue en 1576 et 1579, cette édition en deux volumes nous conserve les dessins de résidences disparues et élévations, principalement de la Renaissance.
Le projet représente un quadrilatère régulier de 188 mètres de long sur 118 mètres de large, perpendiculaire dans sa longueur à la Seine. Des avant-corps rythment les façades extérieures. Ainsi sont visibles 3 avant-corps pour les deux grands côtés du rectangle, contre un avant-corps pour les petites ailes du Nord et du Sud. Quatre pavillons d'angle font saillie.
L'ensemble est composé de bâtiments encadrant cinq cours intérieures. Deux salles de forme elliptique séparent les quatre cours latérales. Guillaume Fonkenell imagine ces deux salles construites en bois, avec une charpente à "petit bois". On se le rappelle, cette technique a été inventée par Philibert de Lorme.
La cour centrale est de très grande dimension. Les quatre autres cours, d'une surface identique et de petite superficie, sont placées à chaque angle. Seule une partie des façades tournées vers l’ouest sera réalisée.
Philippe Potié (Philibert Delorme. Figures de la pensée constructive. Editions Parenthèses. 1996) note une initiative pédagogique de l'architecte pour le palais, qui prouve aussi qu'il n'avait pas peur de divulguer ses connaissances.
Pour le château, Philibert de Lorme fait imprimer sur des planches, des épures à échelle réduite, des profils de "moulurations". Et tout cela est expliqué par l'architecte. Cette impression a été faite "non point tant que montrer aux ouvriers de bien cordonner l’œuvre, que pour la curiosité que j'ai d'enseigner à plusieurs pauvres compagnons qui sont de bons esprits et s'efforcent journellement d'apprendre à mesurer, contrefaire et protraire ce qu'ils voient [...].
Philibert de Lorme dessine face au palais (côté Ouest), un jardin d’agrément à l’italienne. Curieusement ce dernier fermé par un mur, est séparé du palais par une rue. Le jardinier de la régente est Bernard de Carnesecchi, un Florentin.
Le 12 juillet 1564, Charles IX en présence de Catherine pose la première pierre de l'Hôtellerie royale des Thuileries - lez- Paris, au sud du Louvre, à 450 mètres environ de ce dernier. On adjoint au château des Tuileries un jardin à l'italienne.
Si le plan du maître d'œuvre avait été finalisé, la résidence aurait couvert au sol une superficie globalement de 45 000 m², soit une surface dix fois supérieure à celle occupée au sol par le Louvre, résidence ordinaire du roi. Un souverain reçu aux Tuileries parachevées aurait eu le sentiment d'entrer dans un Relais & Châteaux comparé au Louvre qui aurait fait figure de vieille bastide rafistolée.
Lorsque l'architecte écrit dans Nouvelles inventions pour bien bâtir paru en 1580 en évoquant les Tuileries "La Royne mère fut le principal architecte et ne me laissa que la partie de la décoration" on ne peut exclure l'affirmation qu'être architecte de Catherine suppose également des talents de courtisan reconnaissant. Cependant Catherine n'a rien d'une novice dans le monde des Arts. Esthète elle s'est probablement impliquée personnellement dans le projet pour que ce dernier soit le reflet de sa volonté.
Philibert de Lorme opte pour des colonnes d'ordre ionique (en architecture Grecque un ordre est un ensemble cohérent d'éléments qui fixe principalement l'élévation d'un bâtiment. L'ordre ionique est exemplaire des canons du corps féminin ; l'ordre corinthien et dorique faisaient référence respectivement à une jeune-fille et à l'homme) qu'il préfère aux colonnes d'ordre dorique.
Le maître d’œuvre explique ce choix dans son traité Architecture. Il retient l'ordre ionique "pour autant qu'il n'est guère usité, et qu'encore peu de personnes l'ont mis en œuvre aux bâtiments avec colonnes". [...]. C'est pour autant qu'il est féminin et a été inventé après les proportions et ornements des dames et déesses ainsi que le dorique des hommes, comme me l'ont appris les Anciens".
Modeste copiste, j'emprunte ici à Pierre-Nicolas Sainte Farge (le château des Tuileries. Éditions Herscher 1988) sa description de la beauté des façades. " [...] le dessein et l'ornementation des facades, décorées d'inscrutations, de niches et de groupes sculptés [...] offraient au regard un jeu d'ombre et de lumière rehaussé, par l'éclat de la couleur."
La décoration des colonnes est particulièrement riche. Un exemple de la stylisation des sculpteurs-ornemanistes. Ornées de bagues enserrant le fût des colonnes, l'ornementation alterne un décor végétal luxuriant et stylisé (lierre, feuille...) avec, figés et inscrits dans la pierre, des messages symboliques de catherine.
Les lacets d'amour sont tranchés par la faux de la mort, les plumes coupées (en latin pennae se prononce peine) les miroirs brisés, les torches croisées (donc unies comme le feu de l'amour) ... renvoient à l'amour éternel et évoquent son chagrin face à la mort d'Henri II.
A côté de ces motifs douloureux, voisinent d'autres messages plus complexes à déchiffrer. Par exemple des massues croisées reliées par un lacet à un fil à plomb. Il sagit probablement d'une allégorie visant à valoriser l'art de gouverner de Catherine : force (massue) et la justice qui est équilibre (fil à plomb). On renvoie à Guillaume Fonkenel qui décrypte certains symboles.
Le 7 janvier 1570, le Picard, Jean Bullant succède à Philibert de L'Orme (qui mourra seulement le
lendemain). Comme ce dernier, il était tombé en disgrâce à la mort d'Henri II. Moins connu que Jean Goujon, Pierre Lescot, Jean Bullant est un grand architecte de la Renaissance. Comme Philibert
de l'Orme et bien d'autres, il a perfectionné ses connaissances architecturales en Italie. Au service de la prestigieuse lignée des Montmorency au château d'Ecouen, il s'impose parmi ses
pairs.
Jean Bullant introduit en France l'ordre colossal (ordre qui privilégie les verticales, à l'aide de colonnes et/ou pilastres montant sur deux étages ou plusieurs étages). Jean Bullant est un homme aux connaissances vastes. Il a laissé des écrits concernant l'architecture. S'intéressant à la gnomonique (science pour concevoir les cadrans solaires) il a livré à ses contemporains un traité sur l'horlogiographie (technique des horloges solaires).
Parmi ses réalisations architecturales : le château de Chenonceau, dit le château des dames. On admirera la délicate et raffinée galerie à deux étages posée au-dessus d'un pont, enjambant le Cher.
Le maître d'œuvre termine la construction du pavillon central et des ailes deux contiguës inachevés. Il poursuit en édifiant un nouveau bâtiment qui portera son nom. La sobriété de de ce dernier contraste avec l’exubérance des décorations extérieures qui parent les précédents pavillons.
Le nouvel édifice de 24 mètres de long, est en saillie par rapport à l'aile précédente. Composé de deux étages, il est surmonté d'un comble avec fenêtres, posé sur un attique à balustrade. Les trois fenêtres de chaque étage sont encadrées par des colonnes. L'architecte opte pour deux ordres différents : un ordre ionique pour le rez-de-chaussée et un ordre corinthien pour les étages.
Repère en ce qui concerne le commencement des combles. En mai 1571, le roi Charles IX fait don à sa très honorée "dame et mère" de bois de haute futaie venant de sa forêt de Neuville-en Haye pour faire "la charpente de la couverture et aultres ouvrages requis et nécessaires audict palais".
Alors que la couverture de la partie extérieure de la toiture est achevée, que l'architecte creuse d'une part les fondations d'une aile méridionale prolongeant le pavillon Bullant vers la Seine, et d'autre part élève au Nord, les premières colonnes d'un pavillon symétrique au pavillon Bullant.
En 1572 le chantier des Tuileries est définitivement arrêté.
Ayons une pensée émue pour tous les ouvriers anonymes qui ont contribué, pour des salaires de misère, à l'élévation de ce palais.
La raison souvent avancée pour l'arrêt du chantier est qu'un des mages de la veuve d'Henri II, Côme Ruggieri aurait prédit à Catherine qu'elle mourrait près de Saint Germain. La paroisse des rois de France était située à Saint-Germain l'Auxerrois, face au Louvre ; Catherine dit-on "fuit" tous les lieux incorporant dans le nom "Saint Germain". Le seul fondement à cette légende est qu'au moment de mourir, Catherine demande au prêtre lui apportant l'extrême onction son nom .Et lui de répondre "Julien de Saint-Germain".
Une explication plus rationnelle existe. Les guerres de religion qui plongent le royaume dans le chaos sous le règne de ses trois fils. L'enceinte inachevée de Charles IX n'assure pas de manière optimum la défense des lieux. Quelque en soit la raison, Catherine décide de se loger dans une nouvelle résidence.
Elle confie à Jean Bullant le soin de la lui bâtir à l'intérieur de Paris, l'hôtel de Soissons, dit aussi l'hôtel de la reine. Aujourd'hui, seule reste la colonne astrologique (dressée à l'intention de ses mages) qui communiquait avec ce palais. Le 10 octobre 1578, Jean Bullant quittait le monde des vivants.
Un projet coûteux pour les finances du royaume. Pierre de Ronsard ose critiquer l'initiative de Catherine dans une lettre tout en vers destinée à son ami Moreau.
Il ne faut plus que la Reine bâtisse
Ni que sa chaux nos trésors appétisse (...)
Peintres, maçons, engraveurs, entailleurs,
sucent l’épargne avec leurs piperies.
Mais que nous sert son lieu des Tuileries ?
De rien, Moreau, ce n'est que vanité.
Devant cents ans sera deshabité
Et il n' yaura fenêtre ni salle
Leton (laiton) entier, corniche ni ovale.
Son plus certain, son palais le plus beau,
C'est Saint-Denis (ndlr :la nécropole royale où Catherine a commandé le tombeau qu'elle partegara avec Henri II), quand, auprès du tombeau
De son mari, dormira trépassée,
A jointes mains, à clos yeux renversés.
En 1571 côté jardin, le château est constitué d'un pavillon central, surmonté d'un dôme, couronné d'une fleur de lys. Cette coupole reposait sur un attique.
Le pavillon central est une construction en avant corps, plus large que profonde. Sur le même niveau, il est flanqué, de chaque côté, de deux ailes de style identique et symétriques. Elles forment des galeries servant de larges promenoirs, "surmontées d'une attique de la sculture la plus riche" prenant jour par 13 arcades ouvertes en plein cintres et placées de part et d'autre du pavillon central. Ces 26 arches de jour permettent à la lumière d'éclairer les pièces situées derrière. 8 de ces 26 arcades sont en léger ressaut (en saillie). Elles sont munies de marches descendant sur la rue séparant le château du jardin. Colonnes et pilastres dans une harmonie rythmique, donnent un mouvement aérien au rez-de-chaussée.
Au rez-de-chaussée, côté jardin, après un vestibule, le visiteur découvre le légendaire escalier des Tuileries, placé sous le dôme. Sa conception est osée. De forme elliptique, ses marches qui conduisaient au premier étage, prenaient leur envol à partir de trompes. C’est une prouesse technique et esthétique qui frappe l’esprit des visiteurs. C'est un escalier dit "vide à la moderne". La caractéristique de cette construction est que l'escalier est ouvert par des arcades sur un vide central. Deux témoignages admiratifs pour cette œuvre qui roule entre deux airs:
Sous le dôme, "l'escalier de ce bel hostel", dit encore le père du Breul, "tournant en limaçon et suspendu en l'air, sans aucun noyau qui en soutienne les marches, est le plus beau chef-d'œuvre d'architecture et une des plus hardies pièces qu'on puisse voir en notre France"(source Petite histoire de Paris.Fernand Bournon. Librairie classique Armand Collinet Cie.1888).
Pour sa part, Pierre-Nicolas Sainte Fare Garnot relève l'observation suivante d'Henri Sauval, avocat parisien et historien du XVIIe siècle, séduit par cette construction :
"Il semble qu'elle soit prête à tomber et à ensevelir sous les ruines les ruines de ceux qui la comptemplent. Cependant on y monte en sûreté et commodément par des marches spirales et tournantes non seulement basses et aisées, mais distinguées encore par quelques paliers pour plus de facilité et de plaisance".
L'escalier bénéficiait d'une lumière tombant d'une coupole circulaire surmontée d'une fleur de lys. Cette dernière, coiffée d'un lanternon, reposait sur une base flanquée à chaque coin de clochetons. Les nombreuses fenêtres de la coupole augmentaient la luminosité du lieu.
On se rappelle que l'escalier extérieur du fer à cheval du château de Fontainebleau est une réussite de l'architecte.
Les pièces du premier étage quasiment sous les combles pentus (toujours côté jardin) sont très en retrait par rapport à l'aplomb de la façade du rez-de-chaussée ; ainsi sont créées deux terrasses latérales couvrant les arcades.
Plusieurs siècles après, les architectes Percier et Fontaine qui ont beaucoup œuvré aux Tuileries laissent cette avis "la forme extérieure du palais que Philibert Delorme éleva était agréable, la décoration extérieure élégante, la situation en belle, vue, et l'exposition au bon air".
La face du palais tournée vers le Louvre ne comporte ni terrasse, ni arcade, ou bâtiment en retrait. Ce côté du palais est parfaitement rectiligne, et son ornementation rappelle celle visible côté jardin.
Icy de cent couleurs s'esmaille la prairie,
Icy la tendre vigne aux ormeaux se marie,
icy l'ombrage frais va les fueilles mouvant
Errantes ça et là sous l'haleine du vent ;
Icy de pré en pré les soigneuses avettes
vont baisant et sucçant les odeurs des fleurettes ;
[...]
Les Eglogues. Pierre Ronsard.
Si Catherine de Médicis n'habite pas ce palais rêvé mais inachevé, elle apprécie son jardin des Tuileries. Ce dernier doit-être dans son esprit, l'objet d'une admiration équivalente à celle que
son palais va susciter.
En 1452, le Florentin Léon Battista Alberti avait publié "De re aedificatoria". Dans cet ouvrage de référence il indiquait que jardin et demeure ne pouvaient être pensés séparément. Pour lui le jardin et la demeure doivent être traités comme un ensemble unique et indissociable. Et comme il traite de résidences campagnardes, il souligne que le jardin et la demeure, s’inscrivent tous deux dans l’harmonise d’un paysage.
Comme ses architectes Catherine n'ignore rien des préconisations du Florentin, (1404-1472) qui associe la demeure au jardin. Pourtant le jardin des Tuileries paradoxalement est clos comme un jardin du Moyen-Age. Le mur qui le ferme à l'Est est en biais, et en son milieu, décroche un demi-cercle qui occuperait aujourd'hui la moitié du bassin octogonal. Au-delà, l'enceinte de Charles IX assure la protection du site.
Cet éden verdoyant s'étire globalement sur une longueur de 500 mètres de long sur 300 de large. Séparé du château par une rue.
6 longues allées parallèles à la Seine, coupées de 8 allées perpendiculaires, organisent l'espace. Chaque croisement délimite des "parquets", c'est à dire des périmètres plantés de bosquets, de parterres de fleurs, de plantations diverses.
Le jardin est aussi un grand verger. 500 arbres fruitiers y sont plantés, comme des poiriers (40), amandiers (55). Parmi les arbres, on dénombre des tilleuls, des ormeaux, des merisiers. Sans être exhaustif, signalons aussi des fraisiers et une vigne.
Des ambassadeurs Suisses, le 1er mai 1575, venu présenter au roi leurs lettres de créances nous en ont laissé une description des lieux. En italique, dans cet article, leur observation admirative va permettre d'illustrer le texte qui suit :
" Le jardin est fort vaste et très-agréable. Une large voie le partage en deux parties, plantées de chaque côté d’arbres élevés, ormes et sycomores, qui fournissent de l’ombre aux promeneurs. [...] Dans ce jardin sont plusieurs fontaines avec des nymphes et des faunes qui tiennent des urnes d’où l’eau s’échappe.[...].
Un jardin surprenant de surprises, un ravissement pensé pour ébaudir le promeneur. Le lieu n'est pas seulement conçu comme une déclinaison de couleurs, de senteurs fleuries, de variétés fruitières, mais pensé comme un espace scénique, magique et d'illusions visuelles et auditives.
On y trouve par exemple un labyrinthe (un deddalus) fait de saules, de cyprès, de cerisiers et de fontaines. "Il s’y trouve un labyrinthe tracé avec tant d’art qu’une fois entré on en sort difficilement. On y voit des tables faites de branches et de feuilles, des lits, etc. Ce qui est étonnant, c’est que ce labyrinthe est presque en entier formé de cerisiers courbés".
En faisant appel aux techniques de son temps, Catherine transforme le parcours végétal rationnel en un environnement étonnant, magique. Le "mur d'écho" (construction murale en demi-lune) qui renvoie les voix en est un exemple. L'historien et avocat Henri Sauval nous donne un aperçu, "de ce mur biais, en forme d'hémicycle" :
"Les galans y donnent souvent des concerts à leurs maîtresses ; et les commencent quelque fois aux heures où il y a grand-monde, afin d'avoir plus de témoins de leurs amours. Il est situé au bout de la grande allée, et entouré d'une muraille haute de deux toises, arrondie en demi-cercle de vingt-quatre de diamètre, verte de haut en bas, cachée par des palissades et des tonnelles. Les endroits où se recoivent les voix et d'où elles partent en occupent presque tout le diamètre, n'étant séparés l'un de l'autre que par le vuide de quelques toises, qui continue vers le centre de la grande allée et conduit dans la capacité de cette demi-circonférence. Par là, on voit que cet écho n'est pas si naturel que le peuple s'imagine [...]."
Pour alimenter une fontaine que Catherine envisageait de transporter de sa résidence de Saint-Cloud aux Tuileries, Bernard Palissy aux alentours de 1567 construit un aqueduc "en poterie, noyé dans un manchon de béton d’une qualité exceptionnelle" (source Procès-verbal de la commission municipale du vieux Paris-1905) dit aqueduc de Chaillot.
Et pour veilleur sur ce paradis et contrôler les accès au château et à la ville, Charles IX érige la porte de la Conférence à laquelle s'adosse un bastion du même nom.
On ne peut clore cet article sans souligner le rôle du jardin à cette époque. Xavier Le Person dans son enquête dédiées aux "Practiques" et "practiqueurs": la vie politique a la fin du règne de Henri III" relève que " Le jardin, lieu retranché des troubles du monde, est considéré à la Renaissance comme le lieu idéal pour la conférence ou la dispute. S'inspirant des spéculations d'Anciens, le fait de se promener ou de se déplacer en méditant dans un jardin est perçu par les hommes de la Renaissance, comme une action favorisant l'ouverture de l'esprit, parce que l’ébranlement de l’âme est pensé comme le déplacement du corps".
Évoquant une promenade de Catherine de Médicis et du cardinal de Bourbon proche de la Ligue dans les jardins de l'abbaye d’Épernay, l'auteur écrit "Cette promenade dans le jardin peut donc parfaitement avoir été pensée par la reine-mère, inspirée en cela par sa culture et les spéculations humanistes sur le pouvoir philosophique et apaisant des jardins, comme un lieu favorisant la déambulation de la pensée, source d'une possible décrispation et ouverture politique dans un moment où les négociations ne semblaient plus avancer".
Xavier Le Person relève ce qu'écrivait G.Lamarche-Vadel dans son livre titré "Jardins secrets de la Renaissance", à savoir que le jardin est un espace de rencontres, d'abouchements pour le jeu
politique, celui des alliances et des trahisons "Le jardin, lieu accueillant les comédies, les pastorales ou les mascarades, devient aussi le lieu d'un théâtre politique fait
d'illusions et d’effets. Illusions, car comme le théâtre de comédie qui met en scène un ensemble d'artifices, effigies, signes, jeux optiques, décors, habits, rôles, censés évoquer et réunir un
monde qui n'existe plus et que la scène a ressuscité".
Influencée par la mode de son temps, Catherine décide de faire élever une grotte. Elle est complémentaire de la mise en scène dont participent le labyrinthe et le mur d'échos.
Hervé Brunon, dans un article paru en 2007 dans la revue de l'INHA pour L.Zangheri (Actualités de recherche en histoire de l'Art) permet de placer cette construction dans un contexte historique propre à la Renaissance.
"Le développement des grottes artificielles constitue en effet l’un des aspects artistiques les plus significatifs du mouvement de renovatio antiquitatis lancé par la Renaissance. Ce type d’espaces architecturaux était apparu avec l’hellénisme et s’était affirmé dans l’art des jardins romains, désigné par différents vocables comme amaltheum (Cicéron), musaeum (Pline l’Ancien) ou encore nymphaeum. Les équivalents modernes des modèles antiques présentent de même une certaine fluctuation terminologique, qui subsiste encore aujourd’hui entre les mots « grotte » et « nymphée ».."
Pour cette réalisation que Catherine veut exceptionnelle, elle fait appel en 1565 à l'autodidacte (hydrologue, verrier, arpenteur, géomètre...) Bernard Palissy, dont elle connait la notoriété.
Le maître-céramiste, naturaliste unique, répond ainsi à la commande de la reine-mère:
«S’il plaisoit à la Royne, me commander une grotte, je la voudrois faire en la forme d’une grande caverne d’un rocher ; mais, afin que la grotte fût délectable, je la voudrois aorner des choses qu’il s’en suyt. Et premièrement au dedans de l’entrée de la porte je voudrois faire certaines figures de termes divers, lesquelz seroient posez sur certains pieds d’estraz pour servir de colonne... Il y en auroit un qui seroit comme une vieille estatue, mangée de l’ayr ou dissoutte a cause des gelées, pour démontrer plus grande antiquité. Il y en auroit un autre qui seroyt tout formé de diverses coquilles maritimes, sçavoir est les deux yeux de deux coquilles ; le nez, bouche, menton, front, joues, le tout de coquilles, voire tout le résidu du corps... Pour faire émerveiller les hommes je en vouldrois fère trois ou quatre vestus et coiffés de modes estranges, lesquels habillements et coiffures seroient de diverses linges, toiles ou substances rayées, si très approchans de la nature, qu’il n’y auroit homme qui ne pensast que ce fut la mesme chose que l’ouvrier aurait voulu imyter... Je vouldrois fere certaines figures après le naturel, voire imitant de si près la nature, jusqu’aux petits poilz des barbes et des soursilz, de la même grosseur qui est en la nature, seroient observez... » (source Wikisource." Lettres écrites de la Vendée" de M. Benjamin Fillon).
Celui qui va devenir l"inventeur des rustiques figulines (ndlr : modelées en terre) de la royne mère du roy", pour une majorité d'historiens, avait déjà construit une grotte au château d’Ecouen, honorant une commande du connétable Anne de Montmorency (ndlr Henri Brunon pense que rien n'est prouvé sur le fait que Palissy ait achevé la grotte d'Ecouen et que les plans retrouvés concernaient Ecouen) . Suite à cette réalisation réussie, il écrit "Architecture et Ordonnance de la grotte rustique de Monseigneur le Duc de Montmorency, Pair & Connestable de France".
L'inventeur de l'émail blanc peuple sa grotte notamment d'animaux terrestres, marins (lézards, grenouilles) et de coquillages. On sait que ses qualités de céramiste et ses moulages d'après nature donne à ses compositions artistiques un réalisme saisissant frappant ses contemporains. A priori le maître a fait des moulages humains sur des cadavres pour un rendu de certaines "figures après le naturel".
Nicolas et Mathurin (probablement ses deux fils), "sculpteurs en terre" ont aidé Bernard Palissy à élever la grotte artificielle émaillée. Ce dernier était également connu comme Maître Bernard des Thuileries, probablement car il devait y disposer d'une maison, soit qu'il dormait pour des raisons professionnelles dans son atelier, situé comme on le lira plus bas, dans l'aire des Tuileries.
Les ambassadeurs Suisses déjà mentionnés, ont décrit également cette réalisation. Ils sont impressionnés par la grotte, l'ouvrage le plus "remarquable" du jardin.
"C’est un rocher sur lequel courent divers reptiles, serpents, limaçons, tortues, lézards, crapauds, grenouilles, et toute espèce d’animaux aquatiques. Eux aussi versaient de l’eau. Même on
eût dit que du rocher lui-même suintait de l’eau. [...]."
L'emplacement exact de la grotte est inconnu (peut-être dans la partie Sud du jardin ; Edmond Beaurepaire la situe sur "l'emplacement que couvre la terrasse au bord de l'eau" et probablement au niveau de la passerelle de Solferino).
Les fouilles archéologiques menées lors des travaux du Grand Louvre ont permis en 1985 de situer, sous le sol exhaussé, près de l'enceinte de Charles V au sud-ouest de la Cour du carrousel, le lieu où le maître s'était installé, pour travailler. Les récentes fouilles confirment les découvertes de 1865, à savoir que son atelier se trouvait sur le site de la salle des Etats. L'atelier était installé dans une fabrique de tuiliers, dont il utilisait les fours et dont il avait amélioré le rendement calorifique.
Bernard Palissy refusant d'abjurer sa foi protestante meurt victime de la bêtise de fanatiques religieux lors des guerres de religion dans la prison de la Bastille en 1589 ou en 1590 « de faim, de froid et de mauvais traitements ». Il emporte avec lui le secret de ses fabrications, tandis que son corps est jeté aux chiens.
Catherine utilise le cadre exceptionnel qu'offre le jardin pour y donner des fêtes et recevoir des hôtes de marque.
Y sont conviés en juin 1572 les envoyés d'Elisabeth d'Angleterre, comme en 1573 les ambassadeurs Polonais venu proposer à son fils Henri (le futur Henri III) la couronne Polonaise. Ces deniers ont laissé le témoignage qui suit :
Ce n'est doncq' pas sans une bonne et juste
considération que cette sage et advisée Reyne (Catherine de Médicis) fist ceste despance comme ell'en fist aussi une fort belle à l'arrivée des Poulonnois à Paris, qu'elle festina fort
superbement en ses Tuilleries : et après soupper, dans une grand'salle faicte à poste et toute entournée d'une infinité de flambeaux, elle leur représenta le plus beau ballet qui fut jamais faict
au monde (je puis parler ainsin), lequel fut composé de seize Dames et Damoiselles des plus belles et des mieux aprises des siennes, qui comparurent dans ung grand roch tout argenté, où estoient
estoient assises dans des niches en forme de nuées de tous costés. Ces seize Dames représentoient les seize provinces de la France, avecques une musique la plus mélodieuse qu'on eust sceu
veoir ; et amprès avoir faict dans ce roch le tour de la salle par parade comme dans ung camp, et aprez s'estre bien faict voir ainsin, elles vindrent toutes à descendre de ce roc, et s'estant
mises en forme d'un petit bataillon bisarrement inventé, les viollons montans jusques à une trentayne, sonnans quasy un air de guerre fort plaisant, elles vinrent marcher soubz l'ayr de ces
viollons, et par une belle cadance sans sortir jamais, s'approcher et s'arrester un peu devant Leur Majestez, et puis amprès danser leur ballet si bizarrement inventé, et par tant de tours,
contours et destours, d'entrelasseures et meslanges, affrontements et arretz, qu'aucune Dame jamais ne faillist de se trouver à son poinct ni à son rang : si bien que tout le monde s'esbahist
que, parmy une telle confusion et ung tel désordre, jamais ne faillirent leur ordre, tant ces Dames avoient le jugement solide et la rétentive bonne, et s'estoient si bien apprises. Et dura ce
ballet pour le moing une heure, lequel estant achevé, touttes ces Dames représentans lesdictes seize provinces que j'ai dict, vindrent à presenter au Roy, à la Reyne, au Roy de Poullongne, à
Monsieur, son frere, et au Roy et Reyne de Navarre et autres grands de France et de Poullongne, chascune à chascun une placque toute d'or, grande comme la paume de la main, bien esmaillé et
gentiment en oeuvre, où estoient gravez les fruictz et les singularitez de chasque province, en quoy elle estoit plus fertille, comme : la Provance des citrons et des oranges, en la Champaigne de
bledz, en la Bourgongne des vins, en la Guienne des gens de guerre (grand honneur certes celuy-là pour la Guienne), et ainsin consecutivement de toutte autres Provinces.
Brantôme, Recueil des Dames.
Entre deux, Catherine y avait organisé une fête pour le mariage de sa fille Marguerite de Valois (la fameuse reine Margot) avec le futur Henri IV.
On l'a compris, la pression urbanistique parisienne à la Renaissance font que l'habitat déborde les murailles protectrices de Charles V. La construction de l'enceinte Charles IX, dite des "Fossés jaunes" est une réponse à cette situation, d'autant plus que les guerres de religion sont un facteur d'insécurité supplémentaire pour la capitale. Ce qualificatif de "fossés jaunes" est certainement en lien avec la couleur du limon de la terre de ses fossés visible après les terrassements (l'enceinte ne sera achevée que sous Louis XIII).
On est en droit également de se dire que Catherine de Médicis a souhaité protéger le château des Tuileries. Partant de la rive droite (porte de la Conférence) les murailles défensives de Charles IX fermaient au sud le jardin des Tuileries par un premier bastion. Ils seront au nombre de huit. Poursuivant jusqu’à l’ouest de la porte Saint-Denis elles sécurisaient toujours un large périmètre, renforcées de bastions. Dépassé cette porte, elles rejoignaient l'enceinte de Charles V. Puis de la Bastille, elles achevaient cette longue course au bassin de l’Arsenal. De nouveaux bastions sécurisaient le secteur. Le plan de Vassalieu donne une bonne représentation de cette enceinte, dont le premier bastion au Sud, près de la Seine, protège le jardin.
En août 2003, lors des travaux de rénovation du musée de l’Orangerie il a été mis à jour une partie de ce bastion face à l'Ouest.
J'ai vu trop de maçons
Bâtir les Tuileries
Et en trop de façons
Faire des momeries
Odelette satirique de Pierre de Ronsard contre Philibert de L'Orme adressée à Charles IX
Le poète Claude Binet, ami et exécuteur testamentaire de Ronsard raconte une anecdote souvent reprise, mais non vérifiée. Dans la biographie qu'il consacre à son ami "Vie de Pierre Ronsard" le biographe se fait hagiographe (sens second : biographe qui embellit son héros) pour grandir son ami. Place aux faits.
On se rappelle que Philibert de L'Orme était abbé et avait la réputaion d'être imbu de sa personne. L'homme avait plus d'ennemis que d'amis.
L'histoire veut que l'architecte un jour ait interdit l'accès du château des Tuileries à Pierre Ronsard. Ce dernier pour se venger plaque contre la porte du château un écriteau sur lequel était écrit en lettres capitales :
FORT. REVERENT. HABE.
Catherine accompagné par Philibert de l’Orme convoque le poète et lui demande des explications. Et c'est avec plaisir que ce dernier s'empresse de s'exécuter. Ces trois mots compris en français fort révérend abbé ont aussi un sens en latin. En effet se sont les abréviations latines d’un vers d’Ausone qui devraient interpeller son architecte.
FORTUNAM REVERENTER HABE.
Traduction : Sache porter la fortune avec modestie
Catherine rit de l'impertinence. Elle rabroue son architecte et tout à la fois amusée et sérieuse, assure Pierre Ronsard que les Tuileries sont ouvertes aux Muses.
Un second ennemi à avoir travaillé aux Tuileries : Bernard Palissy :
« je sais qu'il y a en notre temps un architecte français qui se faisait appeler le dieu des maçons oun des archiotectes, et qu'il possédait 20.000 livres de bénéfices et qui ne s'avait bien accomoder la cour » .
On ne peut que conclure en laissant la parole à Philibert. Déçu par les attaques dont il est l'objet (y compris de malversations), il confesse en 1560 ses souhaits de : "cheminer en ma simplicité et me cacher le plus que je puis des hommes" pour mieux se donner à l'étude de l'architecture et à l'écriture sainte.
Suite : Henri IV
Association Bâtisseurs des Tuileries - Michel Hourdebaigt © 2010-2022
Contact : michel.hourdebaigt [arobase] gmail.com